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Ouvrir les portes des laboratoires : louable ou pernicieux ?

Face à la contestation croissante de l’opinion publique des expériences menées sur les animaux, et au manque de visibilité de la réalité vécue par les animaux, les laboratoires se mobilisent en tentant une approche d’ouverture des animaleries.

Face à la contestation croissante de l’opinion publique des expériences menées sur les animaux, et au manque de visibilité de la réalité vécue par les animaux, les laboratoires se mobilisent en tentant une approche d’ouverture des animaleries.

Faire des expériences… un jeu

Mettez-vous à la place d’un expérimentateur : c’est ce que propose le site Cobay.es pour ainsi vivre les étapes de préparation d’un animal à des expériences. L’idée d’un tel jeu peut paraître pour le moins contestable. Si on imagine mal un « mettez-vous à la place d’un tueur sur une chaîne d’abattage », c’était pourtant le propos du jeu « That Cow » développé en 2015 par Alexey Botkov mais pour… devenir végétarien. Ici, l’enjeu est tout l’inverse.

Le but ? Démythifier la pratique et évacuer la souffrance. « On entend souvent que l’expérimentation animale est une barbarie » : pour contrer cet argument, le site répond par une mise en situation, « Prenez la place d’un chercheur ». L’association Pro-Anima a interrogé une membre de l’équipe créatrice du site, expliquant qu’il s’agissait de rappeler les précautions prises par les chercheurs dans les manipulations avant une chirurgie.

À l’instar d’un jeu vidéo, avec une esthétique séduisante et un univers technologique excitant, fait de codes à rentrer, d’étapes, vous pénétrez dans l’univers sécurisé de l’animalerie, préparer votre animal (en l’occurrence une souris) et devez respecter scrupuleusement les règles d’hygiène et d’anesthésie.

Mais de la chirurgie, du sang, des cris ou des résistances de l’animal : vous ne verrez rien.

Ce scénario aseptisé élude complètement la réalité qu’il prétend montrer : une expérience sur un animal vivant. Le protocole choisi est justement flou : que fait-on exactement et dans quel but ? Le « joueur » n’en sait rien : il ne retiendra que deux aspects de cette prétendue immersion : tout est très contrôlé, l’animal est anesthésié et se réveille doucement ensuite. Pas de mise à mort non plus.

Une démarche percutante aurait été de proposer de se mettre à la place de l’animal de laboratoire, comme l’association Animal Equality l’a proposé avec les animaux d’élevages : de l’élevage intensif à l’abattoir. Ce projet inédit baptisé « I animal 360 » permet à l’aide de lunettes de s’immerger avec un panorama à 360° dans la réalité vécue par les animaux et à leur hauteur. Littéralement depuis leur point de vue.

Et dans ce cas, point de réalité virtuelle mais des images et l’environnement sonore dans lequel sont réellement les animaux.

Visite virtuelle

Une autre initiative est apparue récemment, avec le « Lab Animal Tour » où 4 instituts britanniques proposent une visite virtuelle de leurs lieux, ce que saluait hier le site Recherche Animale, association interprofessionnelle pro-expérimentation animale en France.

La visite joue la carte de la transparence totale, ce qui ne manquera pas de surprendre : plans des lieux, circulation dans les animaleries comme les couloirs, photos panoramiques et vidéos venant agrémenter l’idée que l’on voit tout. Les espèces sont variées : souris, veaux, cochons, lapins, et même les singes sont présentés. Les cages sont propres, les cochons ont de la paille, les singes de petites volières. Sur les photos, le personnel se montre attentionné.

On ne peut que saluer une telle démarche si l’on pense que, déjà, pour pouvoir tourner de telles images il faut que les conditions de détention des animaux soient exemplaires.

Mais en creux, ce qui choque est que cette belle visite ne montre jamais, absolument jamais, le cœur du sujet : aucune expérience n’est, encore une fois, montrée, laissant croire que les animaleries de laboratoire s’apparentent pour les animaux à des zoos. Les souffrances, les cris, les animaux perclus de douleurs ou atteints de troubles du comportement, générés par l’ennui, les migraines, l’isolement, le manque de lumière du jour : de tout cela vous ne verrez rien, pire, vous ne l’auriez pas même imaginé.

Faussement transparent

La bonne nouvelle, c’est que ce type d’initiatives démontre que l’enjeu est réel : s’il n’y avait pas une prise de conscience de la part des laboratoires que la société civile rejette massivement l’expérimentation, pourquoi prendre autant de temps et mobiliser tant de moyens pour ouvrir leurs portes ?

Cette démarche tend à contrecarrer ce que nous dénonçons, comme la mise en place de caméras dans les abattoirs vise à contrer la défiance et l’inquiétude des consommateurs.

Pour répondre à une contestation montante, faisons donc semblant de montrer, en prenant soin d’ôter tout ce qui est dérangeant. Le bruit des animaleries, les singes qui refusent de sortir de leur cage, la privation d’eau ou de nourriture, les plaies des lapins, les yeux abîmés : toute cette réalité est criante d’absence.

Il n’est pas meilleure illusion que de faire croire au spectateur qu’on lui donne accès à une réalité. En ce sens, il s’agit là d’un tour de magie plutôt réussi. Mais ne soyons pas dupes : aurait-on montré les instituts où se pratiquent les expériences sur l’inhalation de gaz, les brûlures ou la polyarthrite ? Permettez-nous d’en douter. Gageons que ces instituts ont été scrupuleusement choisis, à la manière dont les groupes d’agroalimentaire choisissent les élevages que la presse visite.

Ce dont on peut se réjouir, c’est que le vent tourne, et que les laboratoires l’ont bien compris. Il ne s’agit pas alors d’entretenir une bataille de communication, dont nous n’avons ni les moyens ni l’envie, mais de faire cesser ce que personne ne pourrait voir en face sans crier à l’ignominie.

Silabe

Singe détenu au Centre de Niederhausbergen © Code Animal.

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