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Non, on ne pourra pas vendre son chien à un laboratoire (en tout cas pas plus qu’avant). Pour éviter toute interprétation hâtives et hasardeuses du nouveau décret concernant les animaux utilisés à des fins scientifiques, nous vous proposons notre décryptage.
Contexte : pourquoi le nouveau décret fait polémique
Le 17 mars, juste après le début du confinement, un décret a été adopté par le gouvernement concernant l’expérimentation animale, qui, parmi d’autres mesures, facilite la possibilité pour les établissements pratiquant l’expérimentation de se fournir auprès d’élevages non agréés. Le 27 avril, One Voice a fait un recours gracieux auprès du premier ministre, et désormais auprès du Conseil d’État, décision expliquée dans un article de One Voice le 22 juin.
Dès lors, la presse et les réseaux sociaux se sont emparés de l’information avec parfois des raccourcis douteux, reprenant des propos alarmistes. Or, nulle part dans le décret il n’est question de vendre son chien ou animal de compagnie à un laboratoire. Il reste en revanche des questions sur les motivations de certains changements, auxquelles il parait urgent que le gouvernement réponde.
Peut-on vendre son chien à un laboratoire ?
Le recours gracieux envoyé au premier ministre, rendu public dans le billet publié par l’association One Voice, est très clair sur ce qui est dénoncé. En particulier, la polémique vient de la suppression d’une phrase qui restreignait la possibilité d’utiliser des animaux provenant d’élevages « non agréés » pour l’expérimentation animale. Voici l’article actuel, et entre crochets et en gras ce qui a été supprimé :
« Les animaux utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures expérimentales appartenant aux espèces dont la liste est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la recherche doivent avoir été élevés à cette fin et provenir d’éleveurs ou de fournisseurs agréés selon les modalités prévues aux articles R. 214-99 à R. 214-103. (…)
Des dérogations au premier alinéa du présent article peuvent être accordées par le ministre chargé de la recherche, [lorsque la production des éleveurs agréés est insuffisante ou ne convient pas aux besoins spécifiques du projet,] après avis des autres ministres concernés, sur la base d’éléments scientifiques dûment justifiés. »
Source : Légifrance, Décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques
Il reste donc bien deux conditions : l’avis des ministres concernés, d’une part, et la motivation d’éléments scientifiques justifiés, d’autre part, pour pouvoir utiliser des animaux provenant d’élevages non-agréés.
Ce qui est dénoncé par plusieurs associations de protection animale c’est ce que pourrait impliquer ce changement, mis en regard avec le décret du 22 octobre 2018 qui facilite la création d’élevages de plus de plus de 50 chiens (et de moins de 100 chiens), qui était apparemment, avant ce décret, soumise à une enquête officielle pour l’obtention d’une autorisation. Rien à voir avec les animaux des particuliers, si ce n’est le lien avec les trafics de chiens qui ont pu exister (la France s’est illustrée avec l’affaire d’Agen à la fin des années 1980, au cours de laquelle a été inculpé notamment Richard Mandral, récemment critiqué par One Voice qui a filmé les conditions affreuses dans lesquelles vivaient sa meute de chiens, plus nombreuse que ce qu’autorisait la loi).
Le 26 juin, l’association 30 millions d’amis a publié un billet mentionnant « la porte ouverte au pire » et citant la secrétaire générale de l’association Pro Anima, Christiane Laupie : « depuis la réglementation de septembre 1986, les animaux destinés à la vivisection doivent provenir uniquement de fournisseurs agréés et connus. Ce décret, c’est la porte ouverte au pire ! Élevages de chiens de chasse, particuliers, n’importe qui peut vendre son animal à un laboratoire ».
CNews, incroyable.co, Midi Libre, et d’autres médias reprennent alors ses propos, apparemment sans consulter One Voice, ni vérifier l’information, et toujours avec des titres accrocheurs, tels que :
« Une loi autorisant à vendre son animal de compagnie à un laboratoire dénoncée par 30 millions d’amis », « Le gouvernement passe un décret autorisant les particuliers à vendre leur animaux à des laboratoires », « Vendre son animal de compagnie à un laboratoire : la loi qui scandalise 30 Millions d’Amis », etc.
De quoi faire enfler la polémique, notamment par le biais des réseaux sociaux, et susciter l’emballement médiatique. Une pétition citoyenne intitulée « interdiction d’une loi autorisant de vendre son animal de compagnies à des laboratoires » est lancée, et a reçu pour l’instant un peu plus de 4000 signatures. One Voice lance une pétition en ligne, qui a déjà recueilli plus de 90 000 signatures.
Pourtant, il aurait suffi de consulter les enquêtes statistiques annuelles pour constater que, dans la rubrique indiquant la « provenance » des animaux, il est bien question, non seulement d’élevages « agréés » de l’Union Européenne, mais aussi d’animaux « nés dans l’Union européenne hors élevages agréés », venant « par exemple de fermes d’élevage pour les animaux d’intérêt agronomique ou de parcs zoologiques », ou encore d’animaux « nés hors Union Européenne ».
En analysant les chiffres[1], l’on constate que depuis 2015, entre 82% et 85% des animaux recensés pour l’expérimentation animale viennent d’élevages agréés, sans que ce chiffre n’augmente de manière notable. Pour les chiens, ces chiffres sont plus bas (55-62%). Pour les chats, ils sont plus variables (77-95%). Les macaques rhésus, les poules, les chèvres et les furets viennent de plus en plus d’élevages agréés. Les poissons et les bovins, de moins en moins.
Quid des expériences dans des établissements non agréés et non contrôlés ?
Parmi les reproches des associations à ce décret, était dénoncé aussi le fait que le décret semble ouvrir la possibilité de réaliser des expériences hors des établissements agréés – c’est-à-dire des établissements ayant fait l’objet d’une inspection et d’une autorisation, et censés être soumis à des inspections régulières. Ce paragraphe a été ajouté dans la loi :
« Toute procédure expérimentale doit être menée dans un établissement agréé.
Sur la base d’éléments scientifiques et par dérogation à l’alinéa précédent, l’utilisateur d’un établissement agréé peut être autorisé, dans des conditions définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de la recherche, de l’écologie et de la défense, à réaliser une procédure expérimentale hors d’un établissement agréé. »
Source : Légifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2020/3/17/2020-274/jo/article_1
Avant cela, rien n’était inscrit sur ce sujet dans l’article concerné, il semble donc probable que cet ajout normalise des pratiques qui existaient déjà – ce qui laisse en suspens la question : pourquoi ces pratiques existent-elles, et pourquoi le gouvernement inscrit-elle leur possibilité dans la loi plutôt que de les interdire explicitement ?
La question se pose d’autant plus que la France est déjà mauvaise élève en termes de taux d’inspections surprise des établissements, et c’est bien celles-ci qu’Animal Testing souhaite encourager. Entre 2013 et 2017, la proportion d’inspections surprise réalisée par la France est passée de moins de 10% à un peu plus de 15%, restant très largement en-dessous de la moyenne européenne (passée de 36% à 40% sur la même période). En fait, à l’exception de cinq pays de l’UE qui ne font jamais d’inspections surprises, la France est très en-dessous de tous les autres, qui tournent autour de la moyenne ou au-dessus. La France fait baisser la moyenne européenne.
Les aspects positifs du décret à relever
Le premier point du décret semble positif, puisqu’il retire les invertébrés et les embryons d’ovipares de la liste des exclusions de la loi : leur utilisation sera donc désormais soumise, a priori, aux lois sur la protection des animaux utilisant à des fins scientifiques. Reste à vérifier dans quelle mesure ce changement est applicable et ce qu’il concerne exactement.
Le cinquième point du décret parait sémantique, il s’agit d’ajouter deux mots dans un article (les mots en gras ci-dessous), mais ces deux mots pourraient bien élargir l’application des stratégies de réduction du nombre d’animaux utilisés et de raffinement et de remplacement des méthodes :
« Respecter les principes de remplacement, de réduction et de raffinement suivants :
les procédures expérimentales ont un caractère de stricte nécessité et ne peuvent pas être remplacées par d’autres stratégies ou méthodes expérimentales n’impliquant pas l’utilisation d’animaux vivants et susceptibles d’apporter le même niveau d’information ; […] »
Source : Légifrance
La « Commission nationale de l’expérimentation animale » a aussi été renommée « Commission nationale pour la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ». Surtout, les représentants des associations de protection animale y auront désormais 6 des 15 sièges (40%), au lieu de 3 des 12 sièges (25%), ce qui est très positif et n’a pratiquement pas été abordé dans les médias.
La Fondation Brigitte Bardot mentionne ces points dans un article, ainsi que la Fondation Droit Animal qui a publié un billet vendredi pour dénoncer également la déformation médiatique de ce décret, dont les deux derniers aspects positifs sont rarement mentionnés. Nous notons d’ailleurs ici que le fondateur de LFDA fait partie des représentants de la protection animale et s’est battu depuis plusieurs années pour obtenir ces changements : le décret avait été accueilli comme une victoire pour la fondation, qui en parlait sur son site le 30 avril dernier.
À ce sujet, notre présidente, Audrey Jougla, s’était portée candidate en décembre 2018 pour faire partie des représentants de la protection animale mais sa candidature n’avait pas été retenue, la Commission nationale de l’expérimentation animale jugeant sans doute qu’elle avait un peu trop à coeur les intérêts des animaux de laboratoire… Nous ne perdons toutefois pas espoir, d’autant plus que ce décret en élargit les membres et que notre association est bien l’une des mieux placées pour intervenir en faveur des animaux de laboratoire et rendre la fonction des représentants des animaux utile dans cette commission, car tel est l’enjeu.
Restent les points 2°, 6°, 7° et 8° du décret, qui paraissent plus étranges, peut-être simplement sémantiques, mais pour lesquels il serait intéressant que le gouvernement en explique les motivations. C’est d’ailleurs le sens de la question au gouvernement adressée par Loïc Dombreval, député et président du groupe d’études parlementaire « Condition animale ».
Ce n’est que le samedi 27 juin que les médias ont noté un revirement sur les interprétations diverses de ce décret, notamment le HuffPost ou le 1945 de M6 qui nous a interrogé à ce sujet. En effet, à l’occasion de la Journée mondiale contre l’abandon, les deux thématiques se rejoignaient, poursuivant la polémique et la crainte de voir des animaux abandonnés livrés aux laboratoires.
Il est à noter ici que cette peur fait partie des fantasmes que le grand public peut nourrir sur l’expérimentation animale, à tort — car ce n’est plus le cas aujourd’hui en France, mais aussi à raison — car ce fut le cas, aussi, par le passé, et que la littérature s’en est parfois fait l’écho. Nous consacrerons un article du blog, cet été à ce sujet.
Que retenir de cette polémique ?
D’abord, il nous semble évident que le rapport des médias au buzz est problématique et que l’emballement général sur ce décret provient avant tout d’un manque de sources, de vérification et de compréhension d’un texte de loi. Le rapport du grand public à l’information est lui aussi en cause : nombreux sont ceux qui ont relayé des informations en toute bonne foi, mais parfois se contentant de retenir un titre accrocheur.
Deuxièmement, il nous paraît difficile de rester crédibles si l’on crie au loup pour des modifications qui n’engendrent finalement des craintes que dans l’hypothétique, le conditionnel ou l’extrapolation. Nous ne disons pas ici qu’il ne faut pas rester vigilants, bien au contraire, mais qu’il y a déjà beaucoup à faire pour les animaux de laboratoire dans les conditions présentes, actuelles, et avérées, que nous n’avons de cesse de dénoncer.
Enfin, nous aimerions que chaque personne qui s’indigne derrière son écran ou les réseaux sociaux agisse concrètement, et c’est aussi cela le sens de notre slogan :
« Ne soyez pas simplement désolés, agissez. »
Vous pouvez agir simplement, au quotidien :
1/ en veillant à acheter des produits d’hygiène, de cosmétique ou d’entretien ménager non testés sur les animaux : c’est l’action la plus simple et la plus récurrente que vous pouvez faire. Regardez les logos (Cruelty Free) ou les mentions « non testés sur les animaux ». Choisissez des marques qui revendiquent cette position (Lush, par exemple, ou The Body Shop, pour les cosmétiques, mais aussi Le Petit Olivier, L’Arbre Vert, etc.)
2/ soutenez nos enquêtes, parce qu’elles sont essentielles et extrêmement difficiles à réaliser.
Nous avons révélé au grand public et aux médias ce que personne n’avait filmé auparavant, à savoir :
- la souffrance des chiens utilisés par le Téléthon (2016), qui était auparavant inconnue ou jugée comme étant un mythe issu du militantisme,
- la réalité sur les singes présents dans le sous-sol d’un hôpital parisien pour la recherche sur les maladies neurodégénératives, qui montre aussi que les singes sont privés de nourriture jusqu’à ce qu’ils cèdent, ou restent dans leur chaise de contention jusqu’à ce qu’ils fassent les expériences (janvier 2017),
- les conditions de mise à mort des rongeurs et le témoignage d’un employé de laboratoire (novembre 2017),
- mais aussi l’existence – souvent mise en doute, est pourtant bien réelle – de chats pour des expériences sur le cerveau (avril 2019),
- et récemment, les conditions de transport aérien des animaux vers les laboratoires en Europe ou aux USA (avril 2020)
Partagez-les autour de vous, faites connaitre cette réalité, parlez-en, échangez.
3/ Enfin, bien sûr, vous pouvez participer au maintien de notre association en faisant un don (même tout petit !) : nous n’avons aucune subvention, aucune aide, et nous sommes tous bénévoles et ne comptons pas nos heures. Nous n’avons pas de bureaux, pas de locaux ou de frais de fonctionnement. Mais les enquêtes ont un coût, les déplacements et les frais qui leurs sont liés sont inévitables et nous avons besoin de vous pour continuer à exister. Surtout, nous aimerions faire bien plus et nous heurtons systématiquement au budget ridicule qui est le nôtre.
Aimer les animaux c’est bien, aider à l’amélioration de leur condition, c’est mieux, et ça, c’est notre fonction. Merci infiniment.
[1] Les pourcentages ne sont pas calculés avec les chiffres bruts fournis, mais en retirant du total les animaux réutilisés d’une année sur l’autre, pour ne pas fausser le calcul.