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2 millions d’animaux dans les laboratoires : vraiment ?

Combien d'animaux sont utilisés pour la recherche en France ? Quelle est l'évolution ? De quelles espèces s'agit-il ? Et dans quels buts ? Nous décryptons pour vous les chiffres officiels et leur évolution de 2015 à 2019 (derniers chiffres disponibles).

Temps de lecture : 12 minutes

Tout comprendre aux chiffres officiels

UNE ANALYSE DE NOTRE BÉNÉVOLE DÉCRYPTEUR

Sur le site du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, on trouve aujourd’hui les résultats des enquêtes statistiques annuelles sur l’utilisation des animaux à des fins scientifiques de 2014 à 2019.

Le Royaume-Uni fournissait déjà les chiffres 2019 à l’été 2020, alors que la France publiait les chiffres 2018 quelques semaines plus tard. Elle rattrape peut-être un peu son retard cette année, en publiant en janvier 2021 les chiffres 2019. Ces retards sont possiblement dus au fait que les établissements utilisateurs ne fournissent pas les chiffres à temps et doivent être relancés à plusieurs reprises, comme le note un billet récent de l’OPAL. Mais la différence entre la France et l’Angleterre ne s’arrête pas là : la page du Home Office anglais fournit non seulement une synthèse PDF plus ou moins similaire à celle du Ministère de la Recherche en France, mais aussi un classeur au format OpenDocument, permettant d’avoir un accès direct aux calculs et de pouvoir consulter et comparer les chiffres de diverses manières.

De notre côté, nous avons dû construire à la main ce classeur pour les données françaises, en recopiant les chiffres contenus dans les PDF de chaque année, pour pouvoir aller plus loin que les quelques chiffres fournis au public par le ministère. On ne nous facilite pas la tâche… mais cela devrait changer avec la mise en place en 2023 d’un nouveau système de collecte et de partage des données statistiques, centralisé à l’échelle européenne, et il a été annoncé récemment qu’une partie des données devraient être disponible sous ce format dès cette année. On l’attend avec impatience…

Les chiffres de 2014 semblent un peu à part, peut-être du fait que les établissements ont eu besoin d’un temps d’adaptation pour apprendre à standardiser le recueil des chiffres dans un format adapté aux enquêtes. De plus, un représentant du ministère mentionne dans le billet de l’OPAL qu’une partie des établissements agréés par le ministère n’a pas répondu aux premières enquêtes annuelles, et qu’encore aujourd’hui, « la situation est incertaine » pour 62 établissements.

Avant 2014, il n’est pas évident de trouver des chiffres. Le ministère ne les fournit apparemment plus, alors même qu’il les collectait tous les trois ans depuis la mise en application de la directive européenne de 1986. Dans sa lettre d’information n° 35, qui date de 2007, l’OPAL mentionne l’utilisation de 5 millions d’animaux en 1984 et de 2,3 millions en 2004 – tout en rappelant que la réglementation REACH, destinée à contrôler la sécurité des nombreux composés de synthèse utilisés dans tous les domaines de nos jours, pourrait impliquer une augmentation de 3% du nombre d’animaux utilisés entre 2007 et 2018. Dans la lettre d’information n° 39, on trouve le tableau ci-dessous, qui donne une idée de l’évolution du nombre d’animaux utilisés entre 1990 et 2007.

Tableau Inf’OPAL n° 39 (2009)

On y remarque notamment qu’à partir de 1999, les chiffres recommencent à augmenter ou, au mieux, à stagner. Ce tableau est accompagné de précisions : d’une part, la stagnation des chiffres serait à mettre en regard du volume des recherches effectuées (cet argument utilitaire est souvent invoqué par les groupes de promotion de l’expérimentation animale) ; d’autre part, il est effectivement complexe de tirer des conclusion à partir de ces chiffres, dans la mesure où les établissements ne savent pas toujours comment les déclarer et que l’enquête n’a donc pas toujours des données à jour.

On ne parlera donc ici que des chiffres depuis 2015. C’est d’ailleurs également le cas de l’association Transcience, qui a produit plusieurs analyses commentées des chiffres ces dernières années (l’analyse des chiffres 2018 mentionne d’ailleurs plus que nous ne le faisons ici les animaux transgéniques et les études de toxicologie réalisées pour le programme de tests des produits chimiques REACH, mais ne mentionne en revanche pas les « retraites » des animaux et fournit des graphiques différents).

Pour être plus prudents, il faudrait ne prendre en compte que les derniers chiffres disponibles, les différences en nombre de déclarants entre les années ne permettant pas de réaliser des comparaisons vraiment pertinentes, sauf peut-être en ce qui concerne des changements continus au fil du temps. Pour être encore plus prudents, il faudrait même attendre quelques années, que le système se mette vraiment en place, puis encore quelques années, en supposant que les modes de comptabilisation ne changent pas, pour réaliser des comparaisons dont la pertinence pourrait être tout à fait garantie. Mais dans la mesure où l’OPAL avertissait, 20 ans après le début des enquêtes relatives à la directive de 1986, que les enquêtes étaient difficiles à interpréter, peut-être serait-il plutôt temps, à défaut d’interdire l’expérimentation animale, de mettre au point un système clair et efficace pour que le public puisse réellement avoir une idée du nombre d’animaux utilisés chaque année.

1/ Combien d’animaux sont utilisés chaque année ?

Pour être tout à fait prudents, il faudrait alors s’abstenir de se prononcer sur la question du nombre d’animaux utilisés chaque année, d’autant plus que les déclarations concernent, comme le rappelait récemment le ministère, un nombre d’utilisations et non un nombre d’animaux utilisés. Quand un animal est réutilisé au cours d’une même année ou d’une année sur l’autre, il semblerait donc qu’il puisse être comptabilisé plusieurs fois (ce qui montre bien que la perspective de ces enquêtes n’est pas de s’intéresser à un nombre d’individus, mais à une répartition statistique). Malgré cette possibilité, au vu de la proportion d’animaux réutilisés d’une année sur l’autre (que nous aborderons plus bas), on peut considérer que les chiffres fournis par le ministère ne sont pas particulièrement loin de la réalité du nombre d’animaux utilisés. Et quoi qu’il en soit, chaque utilisation est au moins une nouvelle souffrance infligée à un animal, que cet animal ait subi d’autres procédures auparavant ou non.

Globalement, le nombre total d’utilisations d’animaux recensées dans des procédures expérimentales a un peu augmenté entre 2014 et 2016, puis à peine diminué jusqu’à 2019, arrivant à 1 865 403 utilisations par an, avec une augmentation de la proportion d’utilisations de rongeurs et une diminution de la proportion d’utilisations de poissons.

Si l’on en croit le tableau fourni dans le billet de l’OPAL, la diminution du nombre total d’utilisations pourrait être bien plus importante, puisque le nombre moyen d’utilisations déclarées par établissement est passé de 5 918 à 3 803. C’est en tout cas ce que mentionne le ministère, sans préciser qu’il est possible que cette diminution de la moyenne soit un artéfact. Par exemple, si un établissement qui recense peu d’utilisations d’animaux n’avait pas fait de déclaration en 2014, et avait fait sa première déclaration en 2015, la moyenne générale pour 2015 en aurait été impactée à la baisse. Impossible de le savoir sans avoir le détail des déclarations.

Tableau fourni dans un billet de l’OPAL en décembre 2019
(on lit « nombre d’animaux », mais on peut supposer qu’il s’agit là encore du nombre d’utilisations d’animaux)

De plus, ces enquêtes ne concernent que les vertébrés et les céphalopodes directement utilisés dans les procédures expérimentales. Sont donc exclus :

  • certains animaux (notamment la plupart des invertébrés et les embryons d’ovipares),
  • les animaux utilisés pour le maintien de lignées transgéniques (principalement des souris) et/ou atteintes de maladies spécifiques (par exemple, l’élevage de chiens myopathes qui fournit les chiens utilisés dans les recherches financées par le Téléthon),
  • les animaux euthanasiés pour diverses raisons (récupération de leurs tissus pour la recherche ex vivo – c’est-à-dire la recherche in vitro utilisant des tissus prélevés sur des animaux euthanasiés – mais aussi mortalité et maladies dans les élevages…).

Les animaux de lignées spécifiques et les animaux euthanasiés hors procédure expérimentale sont pris en compte par l’Union Européenne dans le rapport produit tous les cinq ans à propos de divers aspects de l’application de la loi par les États-membres. Le seul rapport publié à ce jour concerne l’année 2017. Il ne contient pas d’informations spécifiques à chaque État, mais la France a publié un communiqué à ce propos, qui révèle que 2 119 205 animaux n’ont pas été comptabilisés dans l’enquête annuelle 2017, dont 85% de souris. Il s’agit bien ici d’individus non comptabilisés, plutôt que de nombre d’utilisations, ce qui complique encore la comparaison avec les données des enquêtes statistiques.

Difficile d’extrapoler des chiffres pour les autres années à partir de cette seule indication, car le « remplacement » des expériences sur animaux vivants (l’un des 3Rs chers au milieu de l’expérimentation animale) peut donner lieu à des recherches ex vivo. Il est donc envisageable que la réduction du nombre d’animaux recensés pour les enquêtes annuelles corresponde à une augmentation du nombre d’animaux non-recensés, tués pour leurs tissus et leurs organes. Ou non. On ne sait pas, et les chiffres permettant une comparaison ne seront probablement pas disponibles avant plusieurs années, le prochain rapport de l’Union Européenne concernant à priori l’année 2022.

2/ D’où viennent les animaux utilisés dans les laboratoires ?

Les laboratoires peuvent s’approvisionner auprès d’élevages « agréés » d’après des conditions définies par la loi européenne. De 2015 à 2019, entre 80% et 85% des procédures expérimentales utilisaient des animaux provenant de tels élevages. Cette provenance est particulièrement privilégiée dans le cas des rongeurs, des lapins et des oiseaux (plus de 85%), mais moins fréquente pour d’autres (54-62% des chiens) et très variable pour beaucoup (11-28% des équidés, 1-90% des amphibiens…). De 2015 à 2018, les élevages agréés ont été de plus en plus sollicités pour les poules domestiques (35% → 61-83%), les macaques rhésus (27% → 100%) et les furets (14% → 97%), et de moins en moins sollicités pour les poissons (84% → 38-58%) et pour les bovins (61% → 27%, avec un retour à 66% en 2019).

Quand ils n’achètent pas les animaux à des élevages agréés (sous certaines conditions), les laboratoires s’approvisionnent auprès d’autres éleveurs, non agréés pour cela, que ce soit dans l’Union Européenne (10-12% des utilisations), ailleurs en Europe (environ 3% des utilisations), ou ailleurs dans le monde (0-3% des utilisations). Il s’agit par exemple, d’après les enquêtes statistiques du gouvernement, « de fermes d’élevage pour les animaux d’intérêt agronomique ou de parcs zoologiques ».

Enfin, alors que la majorité des animaux ne sont utilisés qu’une seule fois ou pendant une seule année (qui se solde par leur mort), certains sont « réutilisés » d’une année sur l’autre. Cela concerne environ 2% de l’ensemble des animaux utilisés pour les procédures expérimentales – mais cette moyenne est faussée par le fait que les souris, animaux les plus fréquemment utilisés, sont très rarement réutilisés. Par contraste, les chats, les équidés, les ouistitis et les reptiles sont réutilisés d’une année sur l’autre dans 55% à 99% des cas. Les chiens sont de plus en plus réutilisés (22% → 39%), ainsi que les chèvres (54% → 86%) et les bovins (29% → 48%, avec un retour à 32% en 2019), en particulier. Entre 2015 et 2019, la réutilisation des primates est plus variable (26-42%).

Il reste difficile de déterminer ce qui peut jouer un rôle dans les changements d’une année sur l’autre, la durée des projets pouvant varier selon les espèces et la réutilisation ou non dépendant notamment du degré de sévérité des procédures infligées aux animaux.

On remarquera également que les primates bénéficient d’une considération supplémentaire, puisqu’une page entière est consacrée à leur provenance plus précise par espèce. De 2014 à 2017, les indications y sont très peu lisibles, et il semble que de nombreux établissements ne renseignaient pas ces informations. En 2018 et 2019, on distingue les primates prélevés dans des « colonies autonomes » (5-6%) et ceux issus de la première génération (F1 = 27-29%) ou des générations ultérieures (F2 = 66-67%) d’élevages. Tout cela, certainement pour rassurer le public sur le fait que les grands singes (les plus proches de notre espèce) ne sont pas utilisés, mais aussi que les autres primates ne sont plus aujourd’hui capturés dans la nature pour être utilisés directement dans les laboratoires. Cela n’empêche pourtant pas que des primates capturés dans la nature puissent alimenter les élevages : si 27-29% des utilisations de primates impliquent des animaux issus de la première génération d’un élevage (F1), on peut en conclure logiquement que les parents de ces primates F1 ont été capturés à l’état sauvage. Enfin, le fait que ces primates viennent d’élevages ne change en rien leur souffrance ou leurs conditions de vie dans les laboratoires…

3/ Pour quoi les animaux sont-ils utilisés ?

Le ministère recense huit applications de l’expérimentation animale. La répartition de ces applications d’expérimentation animale est restée plus ou moins stable entre 2017 et 2019, après un changement assez radical concernant certaines espèces par rapport à 2014 et 2016. Nous parlerons donc ici principalement des chiffres de 2017 à 2019.

La « recherche fondamentale » (c’est-à-dire la recherche de connaissances plus ou moins pour elles-mêmes, sans application directe) représente encore la plus grosse partie des expériences, avec plus de 750 000 utilisations en 2019 (38% des utilisations entre 2017 et 2019).

La recherche biomédicale (« recherche appliquée aux pathologies et au bien-être humain et animal »), avec 25% des utilisations entre 2017 et 2019, et la toxicologie (tests réglementaires relatifs aux médicaments et à d’autres produits), avec 29% des utilisations entre 2017 et 2019, s’échangent la deuxième et la troisième place selon les années. C’est d’ailleurs sur ces deux utilisations que repose la différence entre 2014-2016 et 2017-2019, les primates étant beaucoup plus utilisés en toxicologie et beaucoup moins en recherche biomédicale appliquée, tandis que les chats, chiens et lapins sont passés de la recherche biomédicale à la toxicologie.

Ensemble, ces trois types d’expérimentation recouvrent plus de 90% des expériences réalisées chaque année. Le reste des utilisations concerne la production de colonies transgéniques, l’enseignement supérieur, les recherches sur la conservation des espèces et sur la protection de l’environnement, ou enfin, très rarement, des enquêtes médico-légales. Il est important de noter que les applications militaires ne sont pas comptabilisées dans ces enquêtes. Le Ministère de la Défense, avec seulement quelques chiffres parcellaires fournis fin 2020 en réponse à une question parlementaire, semble être immunisé contre le regard du public.

(NDLR : Animal Testing s’est penché à plusieurs reprises sur les expériences militaires réalisées sur les animaux. Loin d’être clos, ce dossier reste toujours fortement sensible et les interlocuteurs se montrent particulièrement dissuasifs.)

Les rongeurs sont de loin l’espèce la plus utilisée pour la plupart de ces applications en termes de nombre d’utilisations. Les exceptions sont les expériences sur la conservation des espèces (qui ont utilisé principalement des reptiles en 2015, puis presque uniquement des poissons depuis 2016) et sur la protection de l’environnement (pour lesquelles les poissons tiennent la première place, devant les rongeurs et les animaux « de rente »).

En termes de proportions, on constate que la majorité des utilisations de chats, de chiens, de lapins, de cochons d’Inde, de hamsters, d’oiseaux et de singes sont réalisées dans le cadre d’expériences de toxicologie relatives à des obligations règlementaires. Ces tests réglementaires concernaient majoritairement, entre 2017 et 2019, les « produits à usage médical » (69% des cas – et 100% des primates utilisés pour ces obligations) et dans une moindre mesure les « produits à usage vétérinaire » (15% des cas – et 95% des chats). Cet usage est d’ailleurs souvent mis en avant — et de manière disproportionnée — dans le discours des partisans de l’expérimentation animale, pour faire accepter la souffrance des animaux à l’opinion publique notamment. Il s’agit d’une rhétorique plus que d’une réalité représentative.

Des tests ont aussi été réalisés à propos de « produits de contact alimentaire » et d’ « appareils médicaux », et quelques-uns également pour l’industrie chimique, les tests de produits phytosanitaires, les biocides et d’ « autres » raisons non précisées dans les enquêtes statistiques publiées.

4/ Quelle est la « sévérité » des expériences ?

La loi européenne impose la classification des expériences en trois classes de « sévérité », selon ce que subit l’animal.

Les détails de chaque classe sont difficiles à préciser, mais on peut se représenter l’échelle des sévérités en partant de l’inconfort généré par une prise de sang (exemple de procédure « légère ») pour aller jusqu’à l’inoculation d’une maladie grave, dégénérative, voire mortelle, avec laquelle l’animal devra vivre pendant plusieurs jours, voire plusieurs mois ou plusieurs années (exemple de procédure « sévère », après laquelle il est interdit de « réutiliser » l’animal… heureusement).

Quel que soit le niveau de sévérité, l’animal est captif des laboratoires, et peut aussi bien passer toute sa vie dans un environnement plus ou moins « enrichi » (pour éviter que la captivité n’ait un impact trop néfaste sur lui) que dans une cage minuscule ou dans un sous-sol, sans jamais voir la lumière du soleil. Il arrive également que les chercheurs tuent l’animal immédiatement au cours d’une procédure, sans le réveiller – cela permet, concrètement, de lui éviter de souffrir alors qu’il ne présente plus d’intérêt pour les chercheurs.

Entre 2015 et 2019, la proportion de procédures  « légères » a diminué en continu (44% → 32%), la proportion de procédures « modérées » a augmenté à partir de 2016 (38% → 48%) et la proportion de procédures « sans réveil » a oscillé autour de 5-6%. Surtout, de 2015 à 2018, la proportion de procédures « sévères » a presque été multipliée par deux (10% → 19%), avant de redescendre à 14% en 2019.

L’augmentation des procédures sévères de 2015 à 2018 a concerné principalement les poissons (4% → 27% – 22% en 2019) et les rongeurs (14% → 20% – 15% en 2019), tandis que les individus des autres espèces ont subi ce type de procédure de manière plus variable sur la période. Cela concernait par exemple 4-8% des procédures infligées à des singes, 4-6% sur des animaux « de rente », 2-6% à des animaux de compagnie, 1-4% à des équidés et moins de 1% à d’autres mammifères et à des oiseaux.

5/ Concrètement par espèces ?

Nous avons fait réaliser l’infographie suivante pour vous permettre de mieux comprendre :

Les rongeurs utilisés pour l’expérimentation animale
Les chats sont aussi utilisés pour les expériences.
Nous en parlions en 2019 : à retrouver dans nos enquêtes.

À nouveau, il faut interpréter ces chiffres avec prudence, dans la mesure où de plus en plus d’établissements utilisateurs sont concernés, qui ne déclaraient peut-être pas leurs utilisations les années précédentes. De plus, les procédures sont classifiées dans une catégorie de sévérité en fonction de l’acte le plus sévère qu’elles contiennent (lorsqu’elles contiennent plusieurs actes), ce qui peut rendre difficile l’évaluation des pourcentages d’actes de différentes sévérité. Mais la comparaison avec les chiffres anglais (moins de 10% de procédures sévères depuis plusieurs années), suisses (environ 3% de procédures sévères en 2018 et 2019) et belges (baisse de 17-18% à 12-13% entre 2015 et 2019) ne semble pas placer la France comme un modèle de raffinement.

6/ Une retraite des animaux ?

Environ 4 millions d’animaux seraient donc utilisés chaque année en France pour diverses raisons liées à l’expérimentation animale. Parmi les 2 millions d’animaux utilisés directement pour les procédures expérimentales, la très grande majorité finit par être tuée par les chercheurs, que leur mort fasse partie du protocole expérimental ou que celui-ci ne permette pas leur réutilisation ultérieure pour d’autres procédures.

Une infime partie des animaux utilisés dans ces procédures a cependant la chance d’être envoyée « à la retraite » chez des particuliers. En France, c’est surtout le GRAAL qui s’occupe de mettre en place ces retraites. Depuis 2005, cette association a trouvé un foyer pour 3500 animaux, c’est-à-dire, si l’on extrapole à partir des chiffres disponibles de manière à faire une estimation prudente, pour 0,01% des animaux utilisés dans des procédures expérimentales ces 15 dernières années. Autrement dit, pour chaque animal que le GRAAL réussit à placer, 9999 autres ont été tués dans un laboratoire. Or, cette réalité est sur-représentée dans les reportages ou les médias qui évoquent les animaux de laboratoire, permettant souvent de terminer sur une note positive pour le lecteur ou le téléspectateur. Il faut garder à l’esprit que cela n’est en rien représentatif du sort qui attend les animaux de laboratoire.

Pour les animaux de compagnie, plus faciles à placer, ce chiffre est nettement moins élevé mais reste parlant sur la situation actuelle : pour chaque chat et pour chaque chien placé par le GRAAL, une trentaine d’autres ont été tués dans un laboratoire.

Cela ne remet pas en cause l’intérêt de cette association, et d’autres qui tentent d’œuvrer dans le même but avec plus ou moins de moyens (par exemple, White Rabbit, fondée en 2014), mais cela permet de mettre en perspective l’idée que les animaux de laboratoire pourraient avoir une retraite bien méritée – quand la réalité est, pour la plupart, que leur mort est une partie intégrante du protocole expérimental.

7/ Que retenir ?

Le point principal à retenir sur le nombre d’animaux utilisés est la limitation des enquêtes statistiques annuelles. Elles concernent un nombre d’utilisations plutôt qu’un nombre d’individus, ne sont toujours pas remplies par l’ensemble des établissements qui utilisent des animaux à des fins scientifiques, et ne permettent donc pas de tirer beaucoup de conclusions sur l’évolution du nombre d’animaux utilisés sur la période concernée. La transparence n’est toujours pas au rendez-vous, même si l’intention est louable. Il s’agit plutôt d’avoir un ordre de grandeur.

On peut retenir que la majorité des utilisations impliquent des animaux provenant d’élevages de l’Union Européenne agréés par le ministère, mais que cela est variable selon les espèces.

La recherche fondamentale, la recherche biomédicale et les tests réglementaires de toxicologie semblent constituer la majorité des utilisations d’animaux, dans des proportions variables selon les espèces. Les chats, les chiens, les lapins et les singes, notamment, sont majoritairement utilisés pour les études de toxicologie (tests de médicaments humains et de produits vétérinaires, en particulier).

Les procédures « sévères » ont vu leur nombre être quasiment multiplié par deux entre 2015 et 2018, situation d’autant plus inacceptable que le ministère n’a rien dit à ce sujet (se contentant de souligner l’absence de changement entre 2016 et 2017, dans un communiqué pourtant mis à jour en mars 2020, alors que les données de l’enquête 2018 étaient disponibles). Heureusement, cette augmentation a été en partie compensée en 2019. Reste à espérer que cette nouvelle tendance continue.

Enfin, si le placement des animaux utilisés dans les procédures expérimentales est certainement une meilleure solution que l’euthanasie, il reste très minoritaire, quelle que soit l’espèce, et ne peut pas justifier la continuation de ces pratiques.

Surtout, et à travers l’analyse la plus minutieuse qui soit des chiffres officiels, on se rend bien compte que l’on ne saisit pas l’essentiel de ce que ces chiffres recouvrent : à savoir la réalité des expériences et ce qu’elles induisent chez les animaux. Ces chiffres restent muets quant à la réalité qu’ils recouvrent, et c’est aussi pour cette raison qu’Animal Testing a pour mission de décrypter, mais surtout de montrer ce qu’il y a derrière ces statistiques. La représentation chiffrée échoue finalement à montrer ce en quoi consiste précisément l’expérimentation animale.

Infographie réalisée par Tamara Virag.

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