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Animaux de laboratoire et covid : quel bilan ?

Quelle place les animaux occupent-ils dans la recherche d'un vaccin contre la covid-19 ? Deuxième volet de notre suivi de l'actualité et tour d'horizon des expériences menées.

Le 16 mars, le directeur de l’Association Européenne pour la Recherche Animale (EARA, chargée de la promotion et de la communication de l’expérimentation animale) clamait que les associations de défense des animaux étaient « étrangement silencieuses en ce moment » et « s’isolaient du public parce qu’elles savaient que leurs arguments pour en finir avec la recherche animale serait ridiculisés pendant la pandémie de la Covid-19 ». Le 28 avril, Speaking of Research (groupe de lobbying pro-expérimentation animale) dénonçait une manifestation de PETA contre l’utilisation de singes et de guenons dans les laboratoires, affirmant que ce n’était pas étonnant, à une période où l’opinion publique se rend compte que la recherche sur les animaux est utile, que les associations animalistes cherchent des « cibles faciles » plutôt que de s’attaquer à la recherche sur la Covid-19.

(Temps de lecture : 5 minutes)

Les associations opposées à l’expérimentation animale ont pourtant été à l’origine de plusieurs articles pour évoquer la recherche actuelle contre la pandémie (voir par exemple nos billets du 21 mars et du 26 mars). Quelques jours avant le post de Speaking of Research, l’EARA répondait justement à un billet de la Société Anti-Vivisection de Nouvelle-Zélande (NZAVS) accompagné d’un texte d’André Ménache, en soulignant notamment les risques qu’il y aurait à supprimer les études précliniques sur animaux et des modèles animaux utilisés pour étudier la Covid-19. Mais certains arguments, plus ou moins valables, semblent justement intéressants à discuter.

Le billet de la NZAVS mentionnait une étude qui aurait complètement sauté la phase préclinique pour passer aux essais cliniques du vaccin. Il s’agit du vaccin de Moderna Therapeutics, dont l’EARA rappelle, comme nous le faisions dans notre billet précédent, que les essais sur les animaux ont été lancés le même jour que les essais cliniques, et ont participé au développement du modèle de vaccin utilisé, ils n’ont donc pas été évités. De plus, Speaking of Research ne se prive pas de rappeler également que l’utilisation des animaux pour ce vaccin ne se limite pas aux tests précliniques, mais implique aussi le prélèvement de cellules pour la production des vaccin. Malgré cela, au printemps, on a pu lire à de nombreuses reprises que les tests sur les animaux ont été évités par les chercheurs, ce qui n’aide pas à informer la population sur la situation réelle et ne permet donc pas une discussion éclairée sur la question des tests sur les animaux.

Le développement des traitements et des vaccins

Dans le billet de la NZAVS, André Ménache affirme que le modèle animal ne fonctionne pas dans la mesure où 9 fois sur 10, les produits validés sur les animaux ne sont pas validés en essais cliniques. L’EARA rappelait en réponse à cela que parmi les produits qui passent la première phase clinique (sur l’humain, donc), 86% d’entre eux n’est pas validé au cours des phases suivantes. Or, cela n’invalide pas le modèle humain pour autant. La validité des modèles animaux est justement une question très complexe.

En toxicologie, une des seules revues systématiques existantes, assez ancienne (Olsen et al. 2000), a été utilisée chez les partisans de l’expérimentation animale (71% des effets observés en phase clinique ont été observés en phase pré-clinique) comme chez les opposants à l’expérimentation animale (car 29% des effets observés en phase clinique n’ont pas été prévus en phase pré-clinique, et cela monte à plus de 50% pour les souris). Il est notamment difficile de savoir combien de produits ont été écartés à cause d’une toxicité observée chez une espèce animale alors qu’elle n’aurait peut-être pas concerné l’humain.

Les essais cliniques sur les médicaments existants, ne nécessitant pas de tests supplémentaires sur les animaux, ont été décevants. L’essai français Discovery, qui n’arrivait pas à recruter assez de patients pour fonctionner de manière indépendante, se décrivait le 4 juillet comme un essai « fille » du protocole européen Solidarity, qui annonçait avoir réuni 5500 patients dans 21 pays début juillet. À cause de résultats médiocres, voire de risques pour la santé des patients, l’hydroxychloroquine, le remdesivir et le couple lopinavir/ritonavir ont été retirés de Solidarity, de Discovery, ainsi que de Recovery, qui les a étudiés sur un grand nombre de patients. La dexaméthasone semble cependant donner des résultats intéressants pour réduire la mortalité dans les cas de formes graves de la maladie.

Malgré ces tests cliniques (qui n’impliquent pas de faire souffrir plus d’animaux) et l’utilisation de méthodes non-animales pour la recherche, l’expérimentation animale n’est pas en reste, que ce soit pour les traitements, les vaccins ou simplement l’étude de la maladie et de sa propagation.

Lamas, vaches, souris, singes, alpagas, porcelets…

Depuis mars, on a observé qu’une femelle lama infectée par le SARS-CoV2 avait produit des anticorps très efficaces contre le virus – les chercheurs ont donc décidé d’utiliser ces anticorps chez d’autres animaux pour en tester l’efficacité et l’innocuité avant de tenter le coup chez l’humain. Des anticorps ont été produits chez des vaches, des souris génétiquement modifiées, des alpagas, des vers à soie… (À côté de cela, d’autres personnes travaillent sur la production d’anticorps sans animaux.)

Le Centre de Primatologie de Tulane s’est félicité que des singes verts infectés par le virus soient morts à cause de symptômes proches de ceux observés chez l’humain. Après réplication de ces résultats chez de nombreux autres animaux, l’espèce pourrait servir de modèle pour tester les vaccins et les traitements. Une équipe texane a infecté des macaques rhésus, des babouins et des ouistitis pour évaluer quelles espèces pourraient au mieux servir de modèles pour la maladie. D’autres chercheurs développaient une « balle génétique » à base de CRISPR (technologie utilisée pour la manipulation génétique précise), qui pourrait manipuler nos gènes pour mieux nous défendre contre le SARS-CoV2 et être reprogrammée facilement pour mieux combattre d’autres nouveaux virus. Évidemment, une fois la preuve de concept réalisée, des tests de manipulation génétique avec cet outil doivent être réalisés sur des animaux, avant, dans l’éventualité où l’outil fonctionnerait, d’être appliqués aux humains. Mais les recherches ne concernent pas que les médicaments : au Panama, on a lésé les poumons de porcelets pour tester des respirateurs censés aider les personnes atteintes de formes sévères de la Covid-19.

Les animaux domestiques ne sont pas épargnés. En effet, une équipe chinoise a infecté volontairement des chats, des chiens, des cochons, des canards, des furets et des poules pour voir s’ils développeraient la maladie – les chats et les furets semblent pouvoir la contracter et la transmettre à d’autres animaux, le CDC a donc recommandé de les isoler de la même manière que les patients humains, et depuis fin juillet, avec notamment la confirmation des premières contaminations de chiens, il est même explicitement question d’employer avec les animaux de compagnie les mêmes gestes barrières qu’avec les humains, après plusieurs cas de contaminations de plusieurs espèces domestiques par leurs propriétaires.

Enfin, dommage collatéral s’il en est, comme dans de nombreuses crises sanitaires, les animaux d’élevage subissent les conséquences de leur asservissement : des millions de visons élevés pour leur fourrure ont été tués en novembre après la découverte d’une mutation du virus transmissible à l’humain, notamment au Danemark, où le ministre de l’agriculture a fini par démissionner, reconnaissant qu’il n’y avait pas de base légale pour demander l’abattage de tous les visons, malades ou non.

Des limules aux « challenge trials »

Quant aux vaccins, ils ont été testés sur des souris et des macaques rhésus, notamment, avec de bons résultats. Alors que Speaking of Research déplorait le 27 mai que la recherche sur les chimpanzés ait été arrêtée presque partout dans le monde, Thomas Hartung (spécialiste des méthodes alternatives) remarquait que cet arrêt n’avait pas été fait sans raison, les grandes agences d’évaluation ayant largement constaté l’échec de la plupart des recherches menées sur les chimpanzés. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, les tests de vaccins ont été si nombreux que les singes en viennent à manquer pour les laboratoires, notamment aux États-Unis les macaques rhésus, d’habitude importés de Chine.

Début juin, alors qu’un géant états-unien semblait favorable à l’adoption d’alternatives synthétiques au sang de Limules (crabes « fer à cheval ») pour la détection d’endotoxines, il a finalement poursuivi son soutien à l’expérimentation animale – des associations de conservation des espèces et de protection des animaux se sont donc regroupées pour combattre l’utilisation des Limules dans la recherche. Outre les problèmes de bien-être animal et de préservation d’une espèce ancestrale, le refus des méthodes alternatives aux États-Unis risque de générer des délais dans l’autorisation des vaccins produits en Europe avec ces alternatives.

Des limules utilisées pour leur sang

Et les Limules ne sont pas les seules concernées par les vaccins : de nombreux vaccins utilisent comme adjuvant le squalène, extrait du foie des requins, ce que des associations de défense des requins dénoncent, demandant la recherche d’alternatives.

Alors que rien ne garantissait que la réaction immunitaire soit suffisante ou même présente chez l’humain pour l’instant (difficile d’évaluer a priori la validité des modèles animaux pour une maladie qui n’est étudiée que depuis quelques mois), une entreprise a commencé la production des vaccins pendant que les essais cliniques commençaient tout juste, dans le but de pouvoir le distribuer rapidement s’ils sont concluants. Dans l’espoir de faire de la Chine le premier pays au monde à fournir un vaccin, un laboratoire a même annoncé vouloir produire des doses dès la fin de l’année alors que les tests cliniques de son vaccin n’avaient pas commencé (tout en ayant un investissement financier colossal, aussi dû aux prix des singes de laboratoire, multipliés par cinq, voire par dix depuis le début de la pandémie).

En attendant, mi-août, parmi les 165 vaccins en développement, une trentaine avaient entamé les tests cliniques. Mi-novembre, ils sont 54 à avoir entamé les tests cliniques, dont 38 en phase 1 (tests de sécurité et de dosage) et 12 en phase 3 (tests d’efficacité à grande échelle).

Le New York Times maintient à jour le Coronavirus Vaccine Tracker pour connaitre en temps réel (en anglais) l’état du développement des vaccins. À l’heure où nous éditons cet article, 86 candidats vaccins sont testés sur des animaux (essais pré-cliniques) et 58 sur l’homme (essais cliniques).

Capture d’écran de la page du Nw-York Times au 8 décembre 2020

En France, l’Inserm a lancé le 20 juillet la plate-forme Covireivac pour recruter des volontaires pour participer aux essais cliniques. En novembre, Pfizer a annoncé une très bonne efficacité de son vaccin, qui pourrait même être commercialisé sous peu – mais s’agissant d’un vaccin coûteux et impliquant des conditions contraignantes de conservation, il ne semble pas adapté à une vaccination de masse.

Au 22 octobre, plus de 38000 personnes avaient signé un engagement en ligne disant être volontaires pour des challenge trials, c’est-à-dire pour être infectées avec le virus après avoir reçu un vaccin expérimental, afin d’accélérer les recherches. Ce type d’essai pourrait accélérer la dernière phase clinique du développement des vaccins.

Pour l’instant, ces essais ne semblent pas lancés, et en France comme à l’étranger, l’aspect éthique est questionné, dans la mesure où il n’existe pas encore de solution garantie pour les formes graves de la maladie et que l’on ne connait pas ses effets à long terme. L’OMS, sans se positionner sur la question, a fourni des conseils pour ce type d’essais, au cas où des producteurs de traitements et de vaccins voudraient les lancer. Mais cette question relance celle, plus générale, du consentement éclairé et de l’incitation financière des cobayes humains au regard des risques qu’ils sont prêts à encourir.

L’opinion publique en période de crise

Les partisans de l’expérimentation animale affirment souvent qu’il n’y a pas d’alternatives et que dès qu’il y en a, les méthodes utilisant les animaux sont interdites. Comme souvent, la question appelle une analyse moins manichéenne.

Le 17 avril, Understanding Animal Research (UK), un organisme promoteur des expériences sur les animaux, se félicitait d’avoir trouvé dans une enquête menée fin mars que 73% des gens « acceptait » que la recherche animale utilisant des souris, des chiens et des singes était importante pour développer des traitements et des vaccins contre la COVID-19, et que 75% des gens se disait « d’accord » (dans une question à deux choix, « d’accord » ou « pas d’accord ») pour « l’utilisation des animaux dans la recherche scientifique tant qu’il n’y a pas de souffrances qui ne soit pas nécessaire et pas d’alternative ». Wendy Jarrett, CEO d’Understanding Animal Research, ajoutait le 20 mai que « c’est étrange que quelque chose qui a été aussi dévastateur partout dans le monde ait en fait aidé notre communication sur le besoin des animaux dans la recherche ».

Rien d’étrange pourtant : dans une période de crise sanitaire, dans un climat de peur où un suivi des morts et des nouveaux cas au jour le jour est disponible en ligne pour chaque pays, si les autorités de santé disent que la recherche animale est nécessaire, il est fort probable que l’adhésion publique soit massive.

Rappelons ici qu’en 2018, l’Ifop et 30 millions d’amis avaient mené un sondage qui avait révélé que 90% des gens en France étaient d’accord pour l’interdiction totale de l’expérimentation animale quand des alternatives existent : le Gircor (organisme de promotion de l’expérimentation en France) s’était alors empressé de rappeler que cela faisait déjà partie des règles qu’impliquent les 3Rs (Réduire, Raffiner, Remplacer).

Extrait de l’enquête Ifop 2018 pour 30 millions d’amis, sur l’expérimentation animale

Évidemment, le Gircor ne précisait pas que la validation des méthodes alternatives et leur adoption dans la réglementation forment un processus très long et très coûteux, et que Francopa, plateforme française dédiée à la promotion des 3Rs, n’a pas encore mis en place de « centre 3Rs » dédié au développement des alternatives, contrairement à la plupart de ses homologues dans les autres pays européens (qui, contrairement à Francopa, sont financés par leurs États respectifs). Le Gircor oubliait également de mentionner qu’un autre sondage, mené également en 2018 par l’Ifop et Croc-Blanc, donnait 73% de personnes favorables à l’interdiction totale, quelles qu’en soient les conditions, de l’expérimentation sur les animaux de compagnie.

Dans sa réponse à la NZAVS, l’EARA disait qu’il ne fallait pas « mettre de côté nos outils actuels en attendant l’apparition de nouveaux outils ». C’est justement le cœur du problème : au lieu d’avoir investi massivement ces dernières années dans les alternatives, les investissements ont ciblé des développements d’animaux transgéniques, de souches diverses et variées pour beaucoup de recherches fondamentales (dont les applications, si elles existent un jour, ne seront pas révélées avant des années, voire des dizaines d’années). Investir dans les alternatives aurait alors été au mieux plus stratégique, au pire une tentative cohérente.

Il semble ici utile de rappeler que des alternatives existent, même si elles ne peuvent supplanter toutes les expériences actuellement menées sur les animaux. Il y a d’abord les méthodes de culture cellulaire et d’intelligence artificielle, qui sont certes parfois complémentaires plus que substitutives (nous parlerons bientôt plus en détail de ces alternatives). En guise d’exemple, des chercheurs impriment des mini-organes en bio-tissus pour les recherches sur les effets de la maladie, des médicaments et des vaccins. EXSCALATE4CoronaVirus, plateforme informatique, a été mise en place spécifiquement dans le cadre de la crise. Le Centre pour les Alternatives à la Recherche Animale (CAAT), de l’Université John Hopkins, a dédié une partie de ses bourses au développement des recherches non-animales sur la COVID19. L’intérêt et l’urgence de développer les méthodes alternatives ont été largement discutées mi-octobre lors d’une session de conférence disponible en ligne.


Analyse informatique basée sur les connaissances déjà acquises concernant le lien entre la structure d’une molécule et ses effets et interactions dans l’organisme

De la place du cobaye

Affirmer que les alternatives n’existent pas ou que l’expérimentation animale est toujours strictement « nécessaire », revient donc à extrapoler et à manipuler l’opinion publique. Concrètement, de nombreuses expériences réalisées sur les animaux peuvent et pourraient être remplacées, mais pour des raisons de paradigme, principalement, de formations, de financements, le choix de faire les expériences sur les animaux est toujours préféré d’emblée. Le recours aux alternatives ne provient qu’à force de d’injonctions politiques (comme le stipule la directive européenne) ou de surveillance (comme le travail opéré par les comités d’éthique dans l’examen des protocoles). Et ces deux points mériteraient, à eux seuls, un article pour en expliquer les faiblesses.

Cette crise éclaire aussi de nouveau les challenge trials, mentionnés plus haut et nécessitant la participation d’humains, et la nécessité de celle-ci.

Leur rôle s’est avéré indispensable dans l’accélération du processus, mais justement : il est question alors de vitesse, au détriment d’autres valeurs, comme celle de la sécurité ou de la morale.

C’est donc bien la place même des cobayes, qu’ils soient humains ou animaux, que cette pandémie questionne : dans une course contre la montre, le constat international est que les législations les moins regardantes sur l’éthique (concernant l’animal comme l’humain), ont peut-être pris un peu d’avance. Mais cette évaluation reste incertaine car les risques encourus ne sont jamais mesurés à la même échelle de temps que le sont les potentiels ou les espoirs annoncés.

De nouveau, ce que l’on retient est peut-être alors que respecter l’éthique et refuser la course et la vitesse, préférer suivre les règles plutôt que de crier victoire en croyant s’affranchir de celles-ci, est alors indispensable, pour des raisons sanitaires autant que pour des raisons morales.

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