Alors que la recherche se mobilise mondialement pour trouver traitements et vaccins contre le Covid-19, la place de l’expérimentation animale interroge. En effet, des essais cliniques (essais sur l’humain) sont actuellement lancés sans avoir été expérimentés au préalable sur l’animal. Pourquoi ? Pour un gain de temps ou d’efficacité ? Alors qu’en parallèle, des recherches sur les animaux continuent, notamment sur des souris, des furets et des macaques.
La situation soulève en tout cas de nombreuses questions et interroge aussi un modèle de recherche basé sur l’animal. C’est pourquoi Animal Testing produit une série d’articles sur le sujet : nous réaffirmons ici que nous défendons les animaux de laboratoire et que notre association les représente, quel que soit le contexte. Il ne s’agit pas de s’opposer à la recherche mais de regarder, dans la situation inédite actuelle, quel rôle joue l’expérimentation animale et quelles sont aussi ses limites.
Rappel nécessaire : les essais cliniques désignent les recherches menées sur l’homme. Depuis le code de Nuremberg (1947) ceux-ci doivent être précédés d’expériences sur les animaux. Les recherches in vitro (en tubes) ou in silico (modélisations informatiques) sont, quant à elles, des méthodes de recherche sans animaux.
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L’expérimentation animale freine-t-elle la recherche ?
Premier constat, le modèle animal n’est pas le modèle humain : il faut donc adapter les modèles animaux aux recherches, pour les rendre les plus proches possibles de l’humain.
C’est ainsi que le modèle de souris utilisés pour la recherche contre le Covid-19, produit par le laboratoire Jackson Laboratory, est un modèle génétiquement modifié, appelé ACE2, et a, logiquement, subi une pénurie.
Comme nous l’expliquions dans cet article cette pénurie a freiné la recherche car pour que le modèle soit opérant il convient d’attendre 3 semaines pour la gestation puis 6 semaines supplémentaires pour que les souris atteignent leur maturité : un temps précieux alors que la pandémie poursuit sa course. Certains chercheurs ont alors recours à des modèles de souris ordinaires, comme les virologues du NIAID (National Institute of Allergy and Infectious Diseases) : problème, ces souris ne semblent pas sensibles au virus, et il faudra corroborer les résultats avec le modèle adéquat.
« Les souris sensibles à ce pathogène ne sont pas encore prêtes. »
Barney Graham
Barney Graham, directeur du centre de recherche sur les vaccins du NIAID, explique une similitude de réponse immunitaire générée par un vaccin similaire à l’ARNm contre le MERS, un autre coronavirus. Mais « qu’il ne peut pas encore dire la même chose pour le nouveau coronavirus, car les souris sensibles à ce pathogène ne sont pas encore prêtes. »
C’est un autre point important que souligne cette situation : la dépendance de la recherche envers les laboratoires privés et envers ce type d’acteurs producteurs d’animaux de laboratoire. Recourir à l’animal dans la recherche c’est aussi privatiser nécessairement une partie de la recherche.
Par manque de temps, la recherche peut-elle alors se passer de l’animal ?
Épineuse question qui remettrait alors en cause l’intérêt des expériences sur les animaux : pourquoi, sur cette crise précisément, pourrait-on se passer de l’étape des tests sur les animaux, jugée indispensable autrement ? Cette rupture majeure avec le protocole habituelle a de quoi surprendre.
Dans quelle mesure recourir aux méthodes sans animaux ?
Le recours aux méthodes in vitro, in silico, mais aussi l’analyse de la littérature scientifique (aussi appelée méta-analyse) font partie des méthodes de recherche sans animaux qui ont été utilisées pour avancer dans les recherches de traitements et de vaccins.
Les essais cliniques à grande échelle ont été lancés pour les traitements, par l’OMS avec le projet Solidarity, et par l’Inserm avec le projet Discovery, qui vont être testés à grande échelle sur les patients (“des milliers” pour l’OMS, 3200 pour l’Inserm).
« Nous avons analysé les données issues de la littérature scientifique concernant les coronavirus SARS et MERS ainsi que les premières publications sur le SARS-CoV-2 émanant de la Chine pour aboutir à une liste de molécules antivirales à tester : le remdesivir, le lopinavir en combinaison avec le ritonavir, ce dernier traitement étant associé ou non à l’interféron bêta, et l’hyroxychloroquine. », explique Florence Ader infectiologue dans le service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital de la Croix-Rousse au CHU de Lyon et chercheuse au Centre international de recherche en infectiologie Ciri (Inserm, CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1).
Ainsi, la chloroquine (AMM de Nivaquine en 1998) et l’hydroxychloroquine (AMM de Plaquenil en 2004) sont utilisées depuis un certain temps pour le traitement du paludisme, des lupus et de la polyarthrite rhumatoïde : elles ont donc été testées sur les animaux. En revanche ce n’est pas le cas dans le traitement contre le COVID-19 pour lequel seuls des tests in vitro auraient montré une efficacité, tandis qu’une étude clinique exploratoire française, malgré une méthodologie très discutable et un battage médiatique qui a mené à des cas d’intoxication par automédication, laisse penser qu’elles pourraient être efficaces in vivo.
Autrement dit : bien que ces molécules aient donné lieu à des médicaments avec AMM, le traitement expérimental sur l’animal pour le Covid-19 n’a pas eu lieu avant les essais cliniques.
Autre problème, si l’action de la chloroquine in vitro fait ses preuves, elle reste un échec sur les modèles animaux.
« La chloroquine a aussi un effet antiviral, cela a été prouvé in vitro, elle empêche le cycle viral de s’effectuer normalement en modifiant le pH. Mais cette action in vitro est malheureusement plus complexe à reproduire in vivo, notamment parce que le seuil de toxicité pour l’être humain est très bas et les interactions médicamenteuses sont nombreuses. Et c’est là-dessus que portent les recherches, la chloroquine a d’ailleurs été testée contre le chikungunya sans résultat, d’après une publication dans la revue The Lancet en 2007, mais aussi contre la dengue, Ebola ou la grippe, nous disait il y a 15 jours l’épidémiologiste et professeur de médecine Arnaud Fontanet, avec à chaque fois le même constat : la dose nécessaire in vivo est trop élevée, 10 fois supérieure à celle administrée contre le paludisme, et donc toxique. » rappelle Nicolas Martin dans le bilan dressé par son émission La Méthode Scientifique.
« Par le passé, la chloroquine a montré son potentiel in vitro contre beaucoup de virus différents mais a toujours échoué lors des tests in vivo (sur des organismes vivants, donc) sur des modèles animaux. », note aussi Julien Hernandez, rédacteur scientifique de Futura Science.
Cet aspect interroge donc sur la différence de résultats entre les recherches in vitro et les recherches menées sur les animaux. Or, on peut remarquer que cette absence de résultat sur l’animal n’a nullement empêché les essais cliniques.
Le remdesivir, antiviral expérimental (qui n’a pas encore d’autorisation de mise sur le marché), a lui déjà été testé sur les souris en 2017 et sur les macaques rhésus cette année et qui auraient réussi à prévenir l’infection par le MERS-CoV (proche du COVID-19). Mais de même, pour la recherche sur le COVID-19, ce sont des tests in vitro qui auraient montré une efficacité.
Pour ces deux traitements, l’animal a été utilisé auparavant (pour l’obtention des AMM de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine) ou pour des tests expérimentaux d’infection proche du Covid-19 (pour le remdesivir), mais pas dans le cadre du covid-19 où le seul appui reste la méthode in vitro et l’analyse de la littérature scientifique.
Par ailleurs, d’autres essais cliniques sont en cours, référencés sur un site du NIH, et des tentatives de formulation de médicaments spécifiques au COVID-19 sont également en cours, notamment par le CSGID, qui a découvert in vitro et in silico une cible potentielle On le constate, ces recherches préliminaires se font donc sans expériences sur les animaux.
En revanche cela ne garantit pas que le recours à l’animal n’aura pas lieu, même si l’urgence actuelle va plutôt dans le sens d’un passage rapide aux essais cliniques.
Le cas de Moderna : l’animal et l’humain en parallèle
Chez Moderna Therapeutics, les essais cliniques ont déjà commencé, avec des personnes volontaires pour se faire injecter un vaccin expérimental et être suivies pendant 14 mois, pour un vaccin disponible au minimum dans 18 mois. La technologie utilisée implique que ce vaccin ne risque en aucun cas d’inoculer la maladie aux participants.
Moderna, laboratoire de biotechnologie basée à Cambridge, Massachusetts, a produit un candidat vaccin au Covid-19 dans « un temps record », selon Anthony Fauci, directeur de la division des maladies infectieuses des National Institutes of Health. Le 16 mars, Moderna débutait des essais cliniques de phase 1 sur des volontaires.
Or, le développement de ce vaccin n’a pas eu recours aux animaux, mais à une plateforme génétique appelée mRNA. En revanche le vaccin a bien été testé sur les animaux :
« The investigational vaccine was developed using a genetic platform called mRNA (messenger RNA). The investigational vaccine directs the body’s cells to express a virus protein that it is hoped will elicit a robust immune response. The mRNA-1273 vaccine has shown promise in animal models, and this is the first trial to examine it in humans. », lit-on sur le site du NIAID.
Mais Moderna n’a pas attendu de voir à quel point ce vaccin potentiel prévient « l’infection chez les animaux avant de l’essayer chez l’homme, en rupture avec le protocole habituel. »
La presse a souvent titré que ces essais “mettaient de côté” ou “sautaient” les expériences sur les animaux (« Coronavirus Update: Vaccine Skips Important Animal Testing Phase, Straight To Human Trials ») : c’est en effet le cas en tant qu’étape censée être préalable aux essais cliniques.
Mais cela ne veut pas dire que l’animal n’est pas utilisé en parallèle : le jour où les essais cliniques commençaient, des tests étaient faits pour évaluer la réponse immunitaire de souris vaccinées face au MERS-CoV, les souris “susceptibles au nouveau virus” sont en train d’être élevées pour les tests : des essais sur les animaux ont donc bien lieu, mais en parallèle et non comme étape sine qua none avant les essais cliniques.
“Je ne pense pas que prouver cela (le vaccin contre l’infection, ndlr) dans un modèle animal soit sur le chemin critique pour obtenir ceci à un essai clinique”.
Le directeur médical de Moderna, Tal Zaks, le 12 mars.
Par nécessité, par manque de temps et de moyens (modèle animal approprié non disponible), les recherches se poursuivent alors sans recourir à l’animal.
Nuance toutefois, des études cliniques plus larges ne seront pas envisagées avant d’avoir les résultats des essais sur les animaux ET les résultats des premiers essais cliniques :
“In testing the Moderna vaccine the NIH will move to larger human studies only once human and animal studies confirm that the vaccine is safe. He says the risk of enhancement is low, but “the risk of not getting vaccines advanced quickly — so that we can have something available for the next winter season to at least test in the field — that risk is fairly high”, explique Graham.
Autrement dit, la recherche du vaccin s’est effectuée sans animaux, mais a été testé sur des animaux, tests dont les résultats n’ont pas été attendus pour débuter les essais cliniques. Mais les essais cliniques larges ne seront faits qu’après résultats des essais cliniques actuels et des essais sur les animaux.
Finalement, le rôle des essais sur l’animal n’est pas d’être préventif en vue d’essais sur l’humain, puisque ceux-ci sont faits en parallèle, mais d’améliorer la connaissance du virus et la recherche fondamentale, et de corroborer ainsi des résultats.
Se passer des animaux pour les vaccins ?
Des recherches sont en cours, et d’autres ont déjà été réalisées, pour développer des modèles animaux du COVID19, que ce soit pour le développement de traitement ou pour la recherche de vaccins.
Nature News évoque des tests sur des macaques, sur des souris et sur des furets. Par exemple, en Chine, des macaques et des souris transgéniques ont développé une pneumonie après avoir été infectés. En Russie, en Chine, au Royaume-Uni, des tests de candidats vaccins ont été réalisés ou sont en cours sur les animaux.
L’association européenne pour la recherche animale (EARA, qui a pour but la promotion de l’expérimentation animale) met ainsi en place une carte montrant les différentes recherches sur l’animal en cours :
Et d’expliquer : « The basic research and drug testing stages for Covid-19 are likely to need the use of a variety of animals, including ferrets, mice and monkeys. One study using mice – a collaboration between scientists from Utrecht University, Erasmus MC, Harbor BioMed, in the Netherlands, and the University of Veterinary Medicine, Hannover, Germany – has led to the development of a human antibody that can block infection by the virus.
Meanwhile, EARA member VIB-UGent Center for Medical Biotechnology, Belgium, in collaboration with the German Primate Center – Leibniz Institute for Primate Research, Germany, and the University of Texas at Austin, USA, has identified an antibody that neutralises Covid-19. »
Et, nous le rappelons, des furets sont utilisés par Moderna, ainsi que des macaques.
Mais le problème, de même que pour les traitements, est le temps.
C’est ce que rapporte Reuters dans un article tentant d’évaluer les risques et les bénéfices de sauter l’étape de l’expérimentation animale : « Normally, researchers would take months to test for the possibility of vaccine enhancement in animals. Given the urgency to stem the spread of the new coronavirus, some drugmakers are moving straight into small-scale human tests, without waiting for the completion of such animal tests. »
Reuters rapporte également le témoignage de quatre personnes ayant assisté à une réunion à huis clos de l’OMS mi-février autorisant les tests sur l’homme sans avoir les résultats des expériences sur l’animal. Tous s’accordaient pour dire “que la menace était si grande que les personnes travaillant sur les vaccins devraient passer rapidement aux essais sur les humains, avant que les expériences sur les animaux soient terminées”.
Si ces témoignages ne reflètent pas la position officielle de l’OMS, les faits semblent aller dans ce sens. Le 19 mars, une chercheuse d’Oxford explique qu’elle va commencer des expériences sur les animaux cette semaine, et qu’elle compte lancer les essais cliniques d’ici un mois : bien avant, donc, que les expériences sur les animaux soient terminées.
Les tests sur les animaux serviraient donc à tester en priorité l’efficacité des vaccins (en infectant des animaux, donc), tandis que les essais cliniques permettraient, dès les premiers signes d’efficacité, de tester leur innocuité et leur induction d’une réponse immunitaire.
Nature Biotechnology recensait le 20 mars un ensemble de candidats pour le traitement ou la vaccination, avec l’état d’avancée des recherches. Mais la situation évolue très vite.
Que retenir de cette situation inédite ?
L’urgence de la situation et la nécessité de gagner du temps a poussé les chercheurs à enclencher des essais cliniques sans avoir utilisé les animaux ou sans avoir les résultats d’essais sur les animaux menés en parallèle.
La notion même de modèle animal montre aussi ses limites car le modèle recherché pour le covid-19 est un modèle spécifique de souris, génétiquement modifié, dont la pénurie de production renvoie directement au risque de dépendance de la recherche envers les laboratoires produisant les animaux de laboratoire. Ce qui souligne aussi, en filigrane, que l’animal n’est pas une modélisation miniature de l’humain.
Cela montre aussi que des méthodes sans animaux (in vitro, in silico) sont considérées comme suffisamment fiables pour que ces essais soient permis et autorisés par les autorités de santé ou l’OMS.
Enfin cela nous enseigne qu’à l’avenir, si les méthodes sans animaux étaient plus développées et plus financées nous n’aurions pas la dépendance actuelle à l’égard du modèle animal ni même la nécessité d’y avoir recours. Or, il est étonnant que ce point d’amélioration cruciale ne soit pas plus abordé dans la situation actuelle.
Il n’existe actuellement pas de méthodes substitutives aux animaux pour toutes les recherches : il ne s’agit pas de dire cela, mais bien de montrer qu’il est ridicule de le répéter sans chercher à remédier à cette situation et à encourager le développement de ces méthodes. Mais c’est là, un autre sujet.
Focus sur les vaccins ARNm qui se produisent in vitro :
« With the considerable progress in DNA sequencing, it has become relatively easy to determine the genome sequence of pathogens. RNA can thus be produced in vitro, i.e. outside the cells, using a DNA template containing the sequence of a specific antigen. Creating a RNA vaccine also requires some engineering of the RNA to achieve a strong expression of the antigen [4,6].
This is a much simpler process than the culture of virus in eggs. Egg cultures, the more common way of producing vaccines, can provoke allergic reactions; the in vitro production of RNA avoids this possibility. Producing RNA vaccines is also less expensive than producing the full antigen protein [4,6,7]. » (Source : http://sitn.hms.harvard.edu/flash/2015/rna-vaccines-a-novel-technology-to-prevent-and-treat-disease/)
« Since that time, studies on mRNA vaccines have exploded and mRNA can now be synthetically produced, through a cell-free enzymatic transcription reaction. The in vitro transcription reaction includes a linearized plasmid DNA encoding the mRNA vaccine, as a template, a recombinant RNA polymerase, and nucleoside triphosphates as essential components. A cap structure is enzymatically added to the transcriptional product at the end of the reaction or as a synthetic cap analog in a single step procedure. Finally, a poly(A) tail will be provided to form a mature mRNA sequence. » (Source : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fimmu.2019.00594/full)
Liens
Nous vous proposons ici plusieurs articles de vulgarisation scientifique :
La place des méthodes in silico, in vitro, in omic dans l’évaluation de la sécurité des médicaments
http://ipubli-inserm.inist.fr/bitstream/handle/10608/6564/MS_2009_1_105.html
Coronavirus : les dangers d’un vaccin élaboré à la hâte
Covid-19 : un essai clinique européen de quatre traitements expérimentaux est en cours
Chloroquine et Covid-19 : que faut-il en penser ?
Covid19 & chloroquine : à propos d’une étude très fragile, et d’un dangereux emballement médiatique et politique
http://curiologie.fr/2020/03/chloroquine/
Sur la privatisation de la recherche :
Lancement de l’essai clinique européen :
https://presse.inserm.fr/lancement-dun-essai-clinique-europeen-contre-le-covid-19/38737/
Chloroquine : un remède français contre le Covid-19 ?
Le podcast des « Carencés » consacré à ce sujet, qui reprend plusieurs informations déjà développées ici mais explique certains points davantage : https://www.lescarences.fr/les-carences-les-confines/
Articles en anglais :
First vaccine clinical trials begin in the United States
https://www.jax.org/jax-mice-and-services/corona-virus-risk-mitigation
https://www.clinicaltrialsarena.com/news/first-us-covid-19-vaccine-trial-moderna/
https://www.nytimes.com/2020/03/14/science/animals-coronavirus-vaccine.html